De la Cagna Saint Antoine à la place Félix Pérol.

(Naissance d’une place dans le centre-ville de Riom)

 

Le propos de ce quart d’heure n’est pas la grande Histoire de Riom mais celle d’un quartier de cette ville d’art et d’histoire avec ses habitants qui sont des gens simples. L’activité de ce quartier des Tanneries était, à un moment, centrée autour de cette dérivation de l’Ambène qui était le lieu de travail des tanneurs.

Comment est-elle devenue cette large place arborée ? Très peu de personnes se souviennent de cette imbrication de maisons, granges et ateliers.

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En ce 14 juillet 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, c’était jour de fête dans tout Riom. De nombreux événements allaient être célébrés; cependant, pour les habitants du Quartier Saint-Jean, l’inauguration de la place des Tanneries était l’événement le plus important. A 11 h, le comité d’honneur, composé de toutes les personnalités de la ville et du département (sous préfet Fontanel, député Massé, vice président du Conseil général Dr Grasset, président du Conseil d’arrondissement Charny, maire lieutenant-colonel Louis Besson et son Conseil Municipal, premier Président Caron, Procureur Général Mazer, Chef de Bataillon Larbaud…), tout ce cortège défila par les rues du Marthuret et de la Harpe pour se rendre Place des Tanneries. Ils y furent reçus par les citoyens Sagne, Maire du Quartier libre des Tanneries, Bogros et Panem ses adjoints et Madame Aubry costumée en Marianne, tous avaient été désignés par les habitants du Quartier qui étaient venus fort nombreux ce jour-là. Un ruban tricolore barrait l’entrée de la place et « Lavigne, le garde-champêtre veillait au grain, sabre au clair ». A son arrivée, Monsieur Fontanel, sous-préfet coupa le ruban et M. Sagne dans un discours patriotique remit la place au Maire de Riom Louis Besson. Celui-ci prononça une allocution dans laquelle il remerciait les représentants du quartier pour leur accueil et complimenta Madame Aubry coiffée d’un bonnet phrygien. Plusieurs morceaux de musique furent joués par l’Harmonie Municipale, les Amis Réunis chantèrent « l’Hymne à la République » et  un vin d’honneur fut servi à même sur cette place. Peu de temps après, le cortège quitta ce lieu et se rendit place de la Fédération en empruntant la rue des Tanneries et le Boulevard Clémentel.

 

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Revenons aux origines de cette place.

Elle n’existait pas à la fin du 19ème siècle. Le quartier des Tanneries (situé en lieu et place de celle que nous appelons place Félix Pérol), était « un endroit de la ville très populeux devenu un foyer de  tuberculose qu’il était urgent de faire disparaître ». Les ruelles étaient étroites et sombres et beaucoup d’habitations, de granges et d’anciens ateliers de tanneur, étaient délabrés. Déjà en 1893, les gens du quartier des Tanneries et de la Poterne fort mécontents, avaient signé une pétition, se plaignant avec raison de l’envahissement de l’eau qui inonde leur cave et même le rez-de-chaussée de leur habitation depuis plusieurs années. De plus, de cette dérivation  se dégagent des odeurs méphitiques qui constituent un véritable danger public.

Le 25 février de cette année, le Maire Jean Robert et son Conseil Municipal (dont faisaient partie Clémentel, Salvy, Du Corail, Bernet-Rolande) proposent à titre d’essai de creuser une tranchée pour en déterminer l’origine des infiltrations et demandent à l’autorité compétente de réglementer les usines établies à l’intérieur de la Ville afin de donner au ruisseau un repère fixe.

En mai, ils demandent au Préfet de saisir d’urgence l’Administration des Ponts et Chaussées et d’obtenir une étude approfondie du régime de cette dérivation, étude qui devra être pratiquée par un « homme compétent ». »Il est de toute justice de faire cesser cet état de choses qui, non seulement porte atteinte aux intérêts d’une partie des habitants de cette ville mais encore compromet la salubrité de tout un quartier. En octobre 1893, la Municipalité rachète à Amable Lacot, une maison en ruine sise rue Saint-Antoine pour 200F car elle veut y établir un lavoir public.

 

Malgré la réfection des pavés de la rue des Tanneries (rue Albert Evaux) et de la rue Neuve (rue Danchet), il s’avère nécessaire d’assainir ce quartier en profondeur.

En juillet 1903, après avoir averti les époux Perette-Charlimbot que leur maison (10-12 rue Saint-Antoine) apporte des risques et des dangers d’effondrement, la ville met en demeure ceux-ci et enfin décide de démolir cette ancienne habitation. Un an plus tard, après négociation et délibération du Conseil Municipal du 30 septembre 1905, le maire  Etienne Clémentel propose le rachat de cet emplacement de 168 m² pour 750 F dans un but d’hygiène et de salubrité publique ; de plus, cette acquisition permettrait de « créer une petite place et d’aérer cette partie de la ville occupée par la population ouvrière ».

En 1913, à la veille de la guerre, dans le budget communal, une somme de 10 000 F est prévue sous le titre « Acquisitions et Assainissement du quartier des Tanneries ». Le 19 août  de cette même année, la Municipalité rachète pour 1600 F une maison de 104 m² à la toiture effondrée, au n°5 rue des tanneries, qui appartenait à Mme Dubois Vve Boisson d’une famille de tanneurs. Elle permit l’agrandissement de la petite place à laquelle elle est contiguë.

A la sortie de la Guerre, Clémentel expose au Conseil Municipal du 12 mars 1920 qu’il est nécessaire de reprendre l’œuvre entreprise avant la guerre, c’est-à-dire « acquérir pour les démolir les taudis et logements insalubres non susceptibles d’amélioration dans le quartier des Tanneries ». Le 30 juillet 1921, une propriété de 200 m², au n°3 rue des Tanneries, inhabitée appartenant à Mme Alamy Vve Auvitut, est achetée par la Ville pour la somme de 4200 F.

A partir de cette date, une somme supplémentaire de 5000 F est inscrite au budget, ce qui montre la volonté politique de continuer cet assainissement. Cependant, cette somme s’avère insuffisante vis-à-vis de l’augmentation de la valeur des immeubles depuis la guerre. Donc, il se propose d’intervenir auprès de l’Administration Supérieure pour l’attribution de subventions. En 1922, il  présente un devis de 40 000 F pour les dépenses à engager (achat d’immeuble, démolition, terrassement, drainage, pavage et couverture de ruisseau).

Au Conseil Municipal du 24 novembre, alors qu’il a été nommé Ministre, Etienne Clémentel annonce qu’une subvention de 24 000 F a été allouée par la Commission instituée auprès du Ministre de l’Intérieur pour la répartition des fonds provenant du prélèvement de 15 % sur le produit des jeux. Cette subvention est accordée sous les réserves suivantes du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France : mise en place de regards de visite pour nettoyer la partie couverte du ruisseau, interdiction rigoureuse de déversement des matières fécales dans le ruisseau et rattachement du quartier des tanneries au réseau général d’égouts créé avant guerre. En Mars 1923, après de rudes négociations, une dernière parcelle clos de murs de 40 m² est acquise auprès de époux Marmoiton-Blanchet (au lieu de 1200 F demandés, la Municipalité propose 900 F  et M. Marmoiton peut récupérer 2 dalles servant le lavoir, les dalles couvrant le ruisseau, les pavés de la parcelle, la construction en bois établi sur le ruisseau et 10 m3 de moellons).

En même temps, il annonce qu’il y a un problème  avec l’acquisition de la partie arrière (105 m²) de l’immeuble menaçant ruine appartenant à M. Jagoueix. Ce propriétaire est trop exigeant, il demande 8000 F au lieu des 3000 F proposés par la Municipalité. Le maire annonce alors qu’il est prêt à demander à M. le préfet de déclarer d’utilité publique l’aménagement d’une place dans ce quartier. Cela ne tarde pas à se savoir et les époux Jagoueix donnent leur accord par peur d’être expropriés.

Avec tous ces achats, il est nécessaire de procéder à la démolition des immeubles acquis par la Ville. Suite à l’adjudication publique sur soumission cachetée du 29 mars 1923, M. Tabailloux, entrepreneur à Riom qui avait consenti un rabais de 15% sur le prix fixé, finissait la démolition des immeubles Boisson, Auvitut et Jagoueix en mai de cette année 1923. La place des tanneries commence à prendre forme.

L’année suivante,  après avoir été nommé Ministre des Finances, Clémentel répondra au télégramme de félicitations de ses conseillers de la manière suivante  « Bien chers amis, rien ne pouvait être plus agréable dans les circonstances présentes que le témoignage d’affectueuse sympathie dont vous venez de me faire part au nom du conseil tout entier. Dites bien à tous nos amis que leur appui qui, je le sais, ne me fera pas défaut, me sera d’un précieux soutien dans la lourde tâche que j’ai acceptée. Profondément attaché aux principes républicains qui m’ont toujours guidé, je n’aurai d’autre souci que le bien de mon pays. Est-il besoin d’ajouter que je conserve ma fidèle affection à notre chère ville de Riom dont je continuerai à défendre les intérêts de toutes mes forces »

Cette date est importante car, à partir de juillet 1924, son premier adjoint le docteur Edmond Grasset fera fonction de Maire.

Une enquête relative au curage du ruisseau est lancée. La Ville décide en novembre 1925 que le curage des biefs sera mis à la charge des usiniers et que les autres parties seront laissées à la charge des usagers en proportion des avantages qu’ils en retirent. Le 2 janvier 1926, une dépêche du ministre de l’Intérieur au Préfet, transitant par la sous-préfecture, précise au Maire que l’enveloppe de la subvention des 24000 F n’est épuisée qu’à la hauteur de 8000 F et que le reliquat soit 16000 F n’a pas fait l’objet de demande des intéressés et que les délais d’utilisation étaient expirés. Cependant, dans sa grande magnanimité, la décision de surseoir à l’annulation a été prise à condition que la demande de versement appuyée du dossier réglementaire soit faite avant le 1er juin de cette même année. Tout se précipite, un bordereau de prix précis, un détail estimatif des travaux et une estimation des immeubles à acheter sont envoyés. Le dossier est déposé et le solde de la subvention sera alloué à la Ville de Riom.

Une annonce d’adjudication publique des travaux de couverture de l’Ambène est passée dans le Riom républicain et Courrier du Puy de Dôme du 20 mars 1926. Les entrepreneurs Marius Chaput, Achille Jay et Félix Pérol soumettent ; ce dernier l’emporte en proposant un rabais de 20 c pour 1 F. Le ruisseau sera curé et en partie couvert.

En janvier 1930, la commission des Travaux Publics propose à la Ville d’établir un lavoir avec 2 bassins séparés permettant de laver debout, à l’emplacement de l’ancien, de finir de couvrir le ruisseau, de conserver la fontaine, de mettre des barrières d’isolement devant la maison Batisse (20 rue de la Harpe) abandonnée et dangereuse.

 En juin 1931, la maison Jaffeux, 5 rue Danchet, menaçant ruine est achetée par la Ville pour un montant de 4000 F sous la réserve que le vendeur pourra enlever les bois.

Au Conseil Municipal du 16 août 1931, est arrêtée la décision de poursuivre l’assainissement du quartier des tanneries.

En avril 1932, après arrêté préfectoral et menace d’expropriation, M. Gilbert Batisse, 84 ans, ancien maçon, vend  sa maison de 120 m² à l’angle de la rue de la Harpe et de la rue Saint Antoine  au profit de la Ville, contre 18000 F convertis en une rente viagère annuelle de  3600 F.

Lors du Conseil Municipal du 23 octobre 1932, le rapport de l’architecte-voyer Bachaud est, on ne peut plus clair. « L’îlot restant, formé de maisons franchement insalubres reste un important foyer d’infection Les enfants jouent au pied de murs lézardés qui menacent de s’effondrer et de provoquer une catastrophe Il faut acquérir et démolir tous les immeubles situés entre les 3 rues : Danchet, la Harpe et Saint Antoine. Cela permettrait de créer au centre de la ville dans un quartier très peuplé et actuellement dépourvu de lieu de jeux pour les enfants, soit un jardin public soit une place plantée d’arbres où les jeunes enfants pourraient s’ébattre et jouer sans danger » La  place des Tanneries prendra alors sa forme définitive qu’on lui connaît. Le rapport est adopté. Le coût d’achat de ces immeubles et de l’aménagement provisoire de la nouvelle place (WC, curage, lavoir, fontaine) est estimé à 325 000 F.

En  mars 1933, la ville acquiert la grange d’Elie Agier, sise 8 rue Danchet pour la somme de 12000 F. En février 1935, le Maire procède à une nouvelle adjudication de travaux à exécuter ; 3 paquets cachetés sont ouverts. Comme dix ans auparavant, sur les 3 entrepreneurs riomois (Chaput-Debord, Achille Jay et Félix Pérol), ce dernier l’emporte en proposant un rabais de 23 %

Aux élections du 18 mai 1935, Clémentel est réélu maire, le colonel Besson sera son Premier Adjoint, de nouveaux conseillers apparaissent tels Bionnier, Pérol, Levadoux, Bonnard … Quand Clémentel fatigué, démissionnera en décembre 1935, Massé, député de Riom-Plaine sera élu au sein du Conseil Municipal mais il cédera sa place aussitôt au colonel Besson. En 1935, les égouts de la place et les canalisations sont posés. Le lavoir sera terminé en 1936.

En octobre 1935, M. Trouillot, Préfet, rappelle au Maire l’obligation de faire établir  un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension pour la ville de Riom dont la population dépasse  alors 10 000 habitants (11042 habitants au recensement de mars 1931). A partir de 1936, Riom se dote d’un plan de la ville exact et à jour. Le 26 septembre, le Conseil Municipal autorise le Maire  à signer les dernières promesses de vente et à engager toute procédure nécessaire (à l’amiable ou par expropriation)  pour acquérir ces immeubles. Tous les documents (plan parcellaire, avant-métré des travaux, dessins d’ouvrages, devis estimatif, plan d’aménagement) sont préparés La ville redemande une subvention au Ministre de l’Intérieur sur les fonds des produits de jeux. Il faut acquérir 550 m²  (soit 440 m² en surface couverte et 110 m² en passages ou cours) pour créer une place de 40 m sur 20 m avec trottoirs, agrémentée d’arbres d’ornement  (19 paulownias sur 3 rangées). En octobre 1936, 8 promesses de vente sont signées (Gannat-Brun, Lefort, Matthieu, héritiers Gillet, Vve Lassalas, Jagoueix, Millard et Petit). En novembre 1936,  au Conseil Municipal, le maire présente un dossier complet et demande que ce projet soit d’utilité publique, qu’il obtienne une subvention aussi élevée que possible et que les travaux soient entrepris dans les plus brefs délais.

Etienne Clémentel décède en décembre 1936.

Malgré une subvention de 25000 F, il est nécessaire d’emprunter 145 000 F sur 30 ans.

En 1937, le curage du ruisseau est terminé, les riverains sont mis à contribution. La municipalité placarde sur ses murs l’affiche d’adjudication au rabais pour la démolition d’un îlot d’immeubles et la création d’une place publique. L’entrepreneur Lacroix devient adjudicataire. Tous les travaux s’effectuent et la place prend la forme définitive que nous lui connaissons. Il a fallu plus de 30 ans pour acquérir et démolir 16 parcelles et voir émerger ce projet de place publique (plan aménagement 1936).

 

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Il est vrai qu’en ce jour du 14 juillet 1939, toute la ville était en fête. Riom avait célébré à la fois le 150ème anniversaire de la Révolution, inauguré officiellement la Halle avec sa nouvelle Salle des Fêtes consacrée aux loisirs, conférences et réunions diverses ; la place Doumer avait été réaménagée, l’éclairage électrique au gaz avait été remplacé par la lumière électrique. Tous s’étaient transportés sur cette place des Tanneries rénovée.

Cependant, le bras ouvrier, l’artisan principal de cette transformation de la Cagna Saint Antoine en place arborée, c’est bien Etienne Clémentel.

 

En effet, conseiller municipal à partir de 1892, premier adjoint en 1896 et maire de 1904 à 1936, il a tellement œuvré pour sa ville que les historiens oublient souvent qu’il a  été le maître d’œuvre de cette mutation d’un quartier insalubre en une place arborée, aérée. Actuellement, en 2010, cette place des Tanneries, baptisée place Félix Pérol à l’issue de la 2nde guerre mondiale, est devenue un parking et un « crottoir ». Il n’y a plus que 11 paulownias et l’état de la place est déplorable. Nous pouvons espérer qu’un jour proche, elle redevienne une place ombragée où il fera bon s’asseoir et deviser tranquillement, où les enfants pourront jouer en toute quiétude.

Georges TARNOWKA

 

Sources :

v Délibérations du Conseil Municipal de Riom (Archives de la Ville)

v Archives Départementales

v Riom Républicain, Courrier du Puy-de-Dôme, la Montagne